Projet Cométha : pourquoi le Syctom s'intéresse-t-il à la pyrogazéification ?


Le Syctom (agence métropolitaine des déchets ménagers) et le SIAAP (Service interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne), acteurs majeurs du traitement des déchets ménagers et des eaux usées sur le territoire le plus densément peuplé de France, travaillent ensemble pour imaginer des solutions techniques innovantes dans le choix des modes de traitement et de production d’énergies renouvelables de récupération. Face aux difficultés rencontrées par le secteur dont les activités génèrent des déchets ultimes pour lesquels le retour au sol après valorisation matière devient de plus en plus complexe, quand il n’est pas proscrit, le Syctom et le SIAAP ont lancé conjointement le partenariat d’innovation Cométha qui vise à l’élaboration de nouvelles solutions techniques répondant aux enjeux actuels.

Pierre Hirtzberger, Directeur Général des Services Techniques du Syctom, nous parle de la genèse du projet Cométha et des raisons de l'intérêt du Syctom pour les technologies de pyrogazéification en réponse aux besoins spécifiques à ses activités.

L’enjeu du traitement de la matière organique contenue dans les ordures ménagères

L’enjeu d’une gestion adaptée de la matière organique est au cœur des réflexions actuelles du Syctom.

En effet, cette fraction qui représente 30 à 40 % de ordures ménagères sur le territoire du Syctom présente peu d’intérêt pour la valorisation énergétique classique par incinération (pouvoir calorifique faible) et fait l’objet de toutes les attentions des pouvoirs publics avec une volonté de développer des collectes séparatives de biodéchets permettant ensuite un retour au sol d’une matière organique de bonne qualité.

Néanmoins les collectes sélectives les plus efficaces permettent de détourner vers les filières spécifiques de valorisation organique un maximum d’environ 50 % de cette matière contenue dans les ordures ménagères pour deux raisons :

  • Les consignes de tri sur les déchets alimentaires ne concernent pas 100 % de cette matière (les textiles sanitaires ne sont notamment pas concernés),
  • Le taux de participation à ces collectes spécifiques n’est pas de 100 %, particulièrement dans les milieux urbains denses.

Aussi il convient de s’intéresser au devenir de la matière organique qui reste et restera dans les ordures ménagères, dénommée fraction organique résiduelle (FOR).

Cette fraction peut être isolée mécaniquement dans de bonnes conditions techniques et financières.

Son retour au sol n’est plus souhaité. Le débat généré par cette question n’est pas évoqué ici.

Le fait qu’il reste à terme des quantités importantes de matière organique dans les OMr, malgré le développement des collectes sélectives spécifiques à cette fraction ne fait pas consensus aujourd’hui. Certaines associations de protection de l’environnement, et dans une certaine mesure des acteurs comme l’ADEME, pensent qu’il est inutile de développer des systèmes de traitement spécifique à la FOR puisque les quantités seront à terme très faibles eu égard à l’augmentation prévisionnelle de la performance des collectes spécifiques de biodéchets. Le Syctom ne partage pas cet avis et souhaite poursuivre son travail de recherche d’un traitement adapté pour la FOR.

Quel mode de valorisation pour la FOR ?

La valorisation organique de la FOR sous forme d’un amendement agricole n’est pas envisageable pour des questions d’acceptabilité et de compatibilité juridique avec la réglementation française actuelle (interprétation actuelle de la LTECV[*] qui pourrait être amendée dans la nouvelle loi sur la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire)

Aussi il convient de développer des modes de valorisation excluant le retour au sol de cette matière et qui ne soit pas de la simple incinération qui présente peu d’intérêt énergétique.

Parallèlement les procédés de méthanisation qui permettent la production de biogaz ne dégradent qu’une partie de la matière organique, la plus facilement accessible par les bactéries. Les digestats issus de ces technologies ont deux caractéristiques à prendre en compte : des taux d’humidité importants qui génèrent des difficultés techniques de post-traitement (déshydratation souvent nécessaire) et un contenu résiduel en matière organique encore élevé.

[*] Loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte

Le méthane, vecteur énergétique de l’avenir

Le Syctom s’est positionné très tôt en faveur de la filière du biométhane injecté dans les réseaux de gaz naturel et utilisé en substitution de l’ensemble des usages de ce dernier, avec une préférence pour l’utilisation en mobilité, compte tenu du bilan environnemental très positif de cette filière.

Aussi le Syctom porte notamment un projet d’unité de biométhanisation de biodéchets en partenariat avec le SIGEIF[*] permettant la production de biométhane injecté dans le réseau de GRDF à partir de 50 000 tonnes de biodéchets des ménages et des activités commerciales.

Le développement de la production de biométhane se heurte cependant à un certain nombre d’obstacles, qui ne seront pas détaillés ici. Une des principales difficultés réside dans le taux de conversion faible de la matière organique dans un digesteur, limitant ainsi la production de méthane et générant un résidu à traiter en grande quantité, le digestat.

Le digestat constitue une matière pertinente pour des post-traitements non plus biologiques mais thermochimiques. Les procédés de pyrogazéification peuvent être adaptés à un traitement des digestats en rendant accessible le carbone résiduel pour conduire à la production d’un gaz de synthèse plus ou moins riche en méthane et à des résidus ultimes en faibles quantités et plus pauvres en carbone.

Dans une étude récemment mise à jour, l’ADEME, GrDF et GRT Gaz rappellent les potentiels importants de production de gaz de synthèse, qui après traitement, permettent d’augmenter les quantités de méthane d’origine non-conventionnelle injecté dans les réseaux de gaz naturel.

De plus, le transport d’énergie sous forme de méthane est aisé, surtout en zone urbaine dense. Les réseaux de gaz sont présents partout, contrairement aux réseaux de chaleur dont le développement est plus complexe et plus coûteux, quand bien même fortement encouragé par les dispositions de la LTECV.

[*] Syndicat intercommunal pour le gaz et l’électricité en ile de France

L’intérêt pour le Syctom des procédés de pyrogazéification

L’incinération des déchets nécessite des installations industrielles complexes et coûteuses permettant de tenir compte de l’hétérogénéité des déchets à traiter et de la charge polluante des fumées générées.

Les systèmes de traitement des fumées sont complexes car ils doivent traiter des quantités de fumées très importantes liées à l’excès d’air dans les fours-chaudières avec des charges de pollution qui sont faibles.

Les procédés de pyrogazéification d’un déchet homogène riche en carbone présentent les avantages suivants :

  • Une installation de préparation moins complexe du fait de l’homogénéité du déchet à traiter,
  • Des infrastructures généralement plus compactes liées aux quantités plus faibles de gaz à traiter,
  • Une performance énergétique élevée grâce au pouvoir calorifique du gaz de synthèse,
  • Une technologie adaptée à des flux de déchets petits à moyens (inférieurs à 10 t/h) permettant ainsi des implantations sur des fonciers contraints, caractéristiques du territoire du Syctom.
  • Une multiplicité des possibilités de valorisation du gaz de synthèse après prétraitement pour de la production de chaleur par voie thermique (solution mature), de la production électrique via moteur à gaz (solution mature sur intrant biomasse) ou production de biométhane par couplage à un module de méthanation (actuellement au stade R&D : en France, les pilotes Biosyp, Titan V, Methagrid, Enosis, Synthane et le projet Cométha).

Le projet de co-méthanisation Syctom – SIAAP, territoire d’expérimentation de la pyro-gazéification

La synergie d’intérêts entre le Syctom et le SIAAP est basée sur la mise en œuvre d’actions communes pour réduire le volume des boues d’épuration des eaux usées et des déchets organiques à traiter, de minimiser les sous-produits sortants à valoriser et d’augmenter la production d’énergie renouvelable et de récupération, ainsi que de traiter la matière organique de chaque collectivité sur un même site.

L’originalité du projet réside dans la nécessité de développer des solutions innovantes pour le traitement d’intrants multiples en mélange avec la contrainte d’un retour au sol proscrit de la matière organique.

L’objectif global du partenariat d’innovation[*] lancé par les deux collectivités est de disposer d’une unité de traitement par co-méthanisation à haut rendement, des boues de stations d’épuration et de la fraction organique résiduelle des déchets ménagers, permettant:

  • une maximisation de la valorisation énergétique,
  • une minimisation de la production des sous-produits et une optimisation de leur valorisation,
  • d’une manière plus générale, une optimisation de la conversion du carbone.

L’Unité industrielle à réaliser dans le cadre de ce projet est destinée à traiter :

  • La Fraction Organique Résiduelle (FOR) issue de l’Unité de Valorisation Organique (UVO) du futur centre de valorisation d’Ivry-Paris XIII appartenant au Syctom,
  • Les boues de station d’épuration du SIAAP
  • D’autres déchets organiques dont les Maîtres d’ouvrage disposent : fumier équin, résidus graisseux.

Le projet inclut la filière complète de co-méthanisation, y compris les équipements techniques complémentaires permettant la gestion des sous-produits notamment des digestats. Les solutions choisies par les équipes retenues par le Syctom et le SIAAP dans ce projet intègrent pour la transformation de ces sous-produits des technologies de pyrogazéification.

Le partenariat d’innovation, procédure innovante de commande publique, attribué à quatre titulaires, est structuré en trois phases, débutant par un processus de recherche et développement pour valider la solution innovante proposée par chacun. Cette première phase sera suivie par la construction et exploitation d’une ou deux unités pilotes pour vérifier les performances avancées par les deux titulaires choisis à l’issue de la phase 1, jusqu’à l’acquisition d’une solution industrielle répondant aux objectifs, sur lesquels s’est engagé un opérateur économique (soit 1 titulaire).

La pyrogazéification complète de manière pertinente la co-méthanisation réalisée en amont en permettant :

  • De produire du gaz de synthèse, qui une fois traité permet d’augmenter les quantités de biométhane injectées dans les réseaux. L’hydrogène issu de ces traitements peut également être injecté dans la limite du respect des spécifications techniques des opérateurs de réseaux[**],
  • De produire de la chaleur pour les besoins internes de l’installation (y compris chauffage des digesteurs de co-méthanisation) et ainsi de réserver la totalité de la production de biogaz à l’injection du biométhane,
  • De produire le cas échéant un résidu solide (biochar) compatible avec les installations d’incinération du Syctom, en faible quantité.

[*] Nouvelle procédure de commande publique. Cf le décret n° 2014-1097 du 26 septembre 2014 (https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/conseil_acheteurs/fiches-techniques/preparation-procedure/partenariat-innovation.pdf)

[**] http://www.injectionbiomethane.fr/

La pyrogazéification et la filière CSR

Le Syctom s’intéresse également au développement de la filière des Combustibles Solides de Récupération (CSR).

La préparation de CSR à partir d’ordures ménagères résiduelles (OMR) permet de passer d’une logique d’élimination de déchets à une logique de production d’un combustible qui doit répondre à un besoin de chaleur.

La production de CSR à partir d’OMR présente en premier lieu pour le Syctom un grand intérêt logistique en permettant un stockage temporaire dans de bonnes conditions de conservation (le CSR peut se stocker sans risque d’odeurs contrairement aux OMR) afin de répondre aux variations constatées tant sur les quantités d’OMR à traiter que sur la disponibilité des installations de traitement. En effet, tout l’enjeu de la continuité du service public de traitement des déchets est de faire correspondre en temps réel (à la semaine au plus) les capacités de traitement avec les quantités de déchets à traiter.

Le CSR, combustible homogène, peut ainsi être consommé dans des installations de pyrogazéification dans une logique d’optimisation de l’adéquation entre les capacités de traitement et les quantités à traiter. L’intérêt du recours à cette technique pour ce produit par rapport à l’incinération est même supérieur à celui de la FOR car les CSR ont un contenu en carbone plus élevé et produisent donc moins de cendres après traitement.

A noter que la production de CSR à partir d’OMr n’est pas encouragée en France, certains acteurs dont l’ADEME considérant d’une part que le gisement de départ est de qualité insuffisante et d’autre part que le développement de cette filière va potentiellement à l’encontre des objectifs de prévention et de recyclage des déchets.

Pourquoi la filière de pyrogazéification ne se développe-t-elle pas au rythme souhaité ?

Plusieurs obstacles et/ou contraintes frappent cette filière parmi lesquelles on peut mentionner :

  • La maturité industrielle des procédés qui doit encore progresser notamment pour des échelles de déchets à traiter importantes (au-delà de 10 t/heure) et pour les solutions complexes de préparation du gaz de synthèse (déshydratation, méthanation…) ;
  • La nécessité d’avoir des intrants calibrés assez finement engendre des coûts de préparation qui doivent être intégrés dans l’économie des projets ;
  • Les gisements de biomasse de très bonne qualité sont déjà captés par des filières plus matures et plus simples technologiquement (le bois de type A par exemple) ;
  • Des incertitudes juridiques sur le statut des sous-produits issus des procédés. Par exemple que peut-on faire des biochars produits ? Dans quelles conditions peuvent-ils être utilisés en chaudière biomasse (rubrique ICPE 2910) ou en incinération de déchets non dangereux ? (rubrique ICPE 2771). Même l’injection de biométhane à partir de gaz de synthèse n’est encore à ce jour pas réglementée.
  • Des bilans financiers qui ne bouclent pas sans subvention publique et ou paiement d’un « gate fee » : la vente de l’énergie produite ne suffit pas à couvrir les coûts sans faire payer le fournisseur du produit à traiter. On reste pour l’instant donc dans une filière déchets avec un paiement d’un prix de traitement par le détenteur du déchet ;
  • Une absence de soutien réel de la part de l’Etat : ces technologies sont considérées comme étant au service de l’élimination des déchets et donc allant à l’encontre de la promotion de la prévention des déchets et du recyclage.

Le Syctom en quelques mots

Le Syctom traite les 2,3 millions de tonnes de déchets ménagers produits par près de 6 millions d’habitants de la zone centrale de la Région Capitale.

Deux tiers du gisement à traiter fait l’objet d’une valorisation énergétique permettant le chauffage de près de 300.000 équivalents-logement.

La stratégie du Syctom repose sur le respect de la hiérarchie européenne des modes de traitement tout en prenant en compte les spécificités du territoire urbain ultra-dense sur lequel le Syctom intervient.

Ainsi le Syctom encourage le développement des collectes sélectives, à la fois des emballages ménagers mais aussi des déchets alimentaires.

En savoir plus sur le partenariat d'innovation Cométha



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