Biogaz : les voies de valorisation

/
Guide

Une fois le biogaz capté ou produit, autant le valoriser le plus efficacement possible. Différentes voies sont envisageables : chaleur seule, électricité seule, cogénération, carburant automobile, injection dans le réseau de gaz naturel.

Différentes voies sont envisageables : chaleur seule, électricité seule, cogénération, carburant automobile, injection dans le réseau de gaz naturel.
La production de chaleur et d'électricité sont désormais des techniques éprouvées, les deux autres sont encore en phase d'expérimentation et de développement. Le choix entre ces diverses solutions dépend de nombreux critères à la fois techniques et économiques, dans lesquels la nature et la localisation du site de production interviennent pour beaucoup.
Le site peut avoir des besoins internes d'énergie (chaleur pour chauffer le digesteur et des locaux, électricité pour alimenter des machines tournantes) ; s'il n'en a pas, il peut se trouver à proximité d'utilisateurs potentiels de cette énergie (serres, usines, réseaux de chaleur, réseau de transport de gaz, flotte de transport,... ) ; il se peut aussi qu'il soit totalement isolé - c'est souvent le cas des décharges - auquel cas la seule valorisation possible sera la production et la vente d'électricité.


Les techniques d'épuration
Quel que soit l'usage final du biogaz, il est quasiment impossible de l'utiliser tel qu'il est produit ou récupéré. La seule fraction valorisable est le méthane qu'il contient en proportion plus ou moins grande et les autres composants sont inutiles, gênants, voire nuisibles. Une ou plusieurs étapes d'épuration sont donc nécessaires, comme indiqué ci-dessous.

Composants à enlever selon le mode de valorisation :
Valorisation : chaleur - enlever eau, soufre (H2S, éventuellement).
Valorisation : électricité, cogénération - enlever eau, soufre (H2S), organo-halogénés (éventuellement)
Valorisation : carburant - enlever eau, soufre (H2S), organo-halogénés (éventuellement), carbone (CO2), métaux (éventuellement).
Valorisation : réseau gaz - enlever eau, soufre (H2S), organo-halogénés (éventuellement), carbone (CO2), métaux (éventuellement), oxygène (éventuellement).

Il existe de nombreux moyens d'éliminer la vapeur d'eau. Si les contraintes de point de rosée ne sont pas trop strictes, un dévésiculateur suivi d'un séparateur diphasique suffira. Pour l'injection dans le réseau, la teneur en eau doit être inférieure à 30 mg/(n)m3 et l'on fera appel à des techniques comme la cryogénie, l'absorption sur glycols ou encore, la solution la plus courante, comme les tamis moléculaires. Pour l'usage carburant, la concentration en eau doit encore être divisée par deux (point de rosée -25°C) et il faudra se tourner vers le système PSA (Pressure System Adsorption).

Le soufre, présent sous forme de sulfure d'hydrogène (H2S), s'enlève assez facilement par passage sur de l'oxyde de fer ou du charbon actif, ce dernier étant plus facile à régénérer. Mais on peut également effectuer un lavage à l'eau sous pression, qui élimine aussi le C02. Une petite partie du méthane (de l'ordre de 8%) se dissout dans l'eau, mais le pouvoir séparateur est néanmoins important car les solubilités du H2S et du C02 sont respectivement 85 et 30 fois supérieures à celle du méthane.

On se débarrasse des composés organo-halogénés, ainsi que des métaux lourds, par passage sur du charbon actif qui, le plus souvent, est ensuite incinéré. La décarbonatation se réalise, on l'a vu, par absorption dans l'eau sous pression, mais le tamis moléculaire peut également être utilisé. Quant à l'oxygène, s'il faut vraiment l'éliminer (par exemple pour l'injection en réseau), on le fait par traitement thermique catalytique, qui a l'inconvénient de consommer aussi une partie du méthane.

Ces opérations d'épuration, si elles doivent être couplées, ne se font pas dans n'importe quel ordre. L'hydrogène sulfuré étant un poison pour les catalyseurs, la désulfuration devra précéder le traitement thermique catalytique, qui lui-même précédera la décarbonatation et la déshydratation, puisque la combustion libère du C02 et de la vapeur d'eau. Il faudra alors désulfurer sur charbon actif, car le traitement à l'hydroxyde de fer s'effectue après décarbonatation. La compression est également une opération critique du conditionnement du biogaz avant son utilisation, notamment pour l'injection dans le réseau et la transformation en carburant. Il s'opère en une ou deux étapes qui s'intercalent elles-mêmes entre les étapes d'épuration. Le bon choix des matériaux constitutifs des compresseurs, ainsi que des canalisations, vannes,..., est évidemment primordial au regard des risques de corrosion.


Produire de la chaleur

* Conditions opératoires
Brûler du biogaz sous chaudière ou en four est la voie de valorisation la plus ancienne, la mieux maîtrisée et la plus courante. La teneur en CH4 du biogaz peut descendre jusqu'à 20% et les contraintes d'épuration sont légères. En général, on peut se contenter d'une déshydratation par dévésiculation et séparation de phases. Une désulfuration peut cependant s'avérer nécessaire si la teneur en H2S conduit à des rejets soufrés excessifs dans les fumées. Elle s'effectue généralement par passage sur charbon actif ou traitement à l'hydroxyde ferrique, à l'aspiration du surpresseur.

On utilise des brûleurs spéciaux adaptés à la combustion du biogaz, alimentés avec une surpression supérieure ou égale à 300 mbar. Ces brûleurs, qu'on trouve couramment sur le marché, ont des injecteurs de plus grand diamètre que les brûleurs à gaz habituels et leur fonctionnement est moins souple. Mais le problème le plus délicat est celui que posent les risques éventuels de corrosion dus à la présence conjointe de vapeur d'eau, d'hydrogène sulfuré et de composés organo-halogénés. Dans ce cas, il est indispensable de prévoir des canalisations en PEHD et de protéger le surpresseur (aubages en inox, corps revêtu de matériau inerte), ainsi que les purges, les compteurs et les brûleurs.

* Conditions économiques
On considère que la valorisation thermique du biogaz peut être rentable à partir d'un débit de 100 m3/h. Voici quelques valeurs caractéristiques fournies par l'ADEME et GDF : l'investissement pour une chaudière consommant 500 m3/h de biogaz, située à proximité immédiate de la source, s'élève à environ 900 kF, études et essais compris, et ses frais d'exploitation à environ 225kF/an ; son fonctionnement économisant de l'ordre de 1,4 MF/an de combustibles commerciaux, le temps de retour est particulièrement rapide (moins d'un an). Ce bilan économique se dégrade dès que la distance entre la source de biogaz et son utilisation s'accroît, mais une bonne rentabilité peut encore être atteinte si le débit est supérieur.

* Exemples de valorisation
*Fourniture de vapeur industrielle
Aux papeteries Emin-Leydier à Saint Vallier (26), l'eau de procédé (2,5 Mm3/an) est traitée dons un digesteur de 1975 m3 qui produit 2,7 Mm3 de biogaz chaque année. Ce biogaz est brûlé dans une chaudière qui fournit 8 t/h de vapeur 16 bar à l'usine elle-même. La combustion du biogaz représente une économie de 21 GWh qui rentabilise l'opération en moins d'un an.

*Chez Révico à Suint-Laurent de Cognac (16), la méthanisation des vinasses produit 4,4 Mm3/an de biogaz d'un PCI de 7 kWh/(n)m3. Environ 70% de cette quantité sont brûlés sous chaudière pour produire de la vapeur qui est vendue aux distilleries voisines. Ici aussi, la vente de vapeur (21 GWh/an) a remboursé l'investissement en moins d'un an. On sait par ailleurs que le solde de biogaz est valorisé en cogénération pour délivrer de l'électricité, dont l'excédent est vendu à EDF, et de la chaleur qui sert à chauffer les locaux, des serres et les deux digesteurs (voir Energie Plus n° 97 du 15/12/1997).

*Chauffage d'une piscine municipale
A Bayeux (14), la chaufferie de la piscine municipale couverte fonctionne depuis plus de dix ans alternativement au biogaz et au gaz naturel, une opération initiée en 1987 par l'association Biomasse Normandie. Le biogaz provient de la station d'épuration urbaine distante de 300 mètres qui méthanise ses boues résiduelles (80 m3 de boues par jour produisent 400 à 500 m3/j de biogaz). La chaufferie comporte deux chaudières de 580 kW ; l'une brûle du gaz naturel, l'autre est équipée d'un brûleur mixte qui lui permet de consommer du biogaz en alternance au gaz naturel. Le biogaz assure ainsi un tiers des besoins de la chaufferie (2,3 GWh/an) pour la mise en température de l'air ambiant, de l'eau sanitaire et de l'eau des bassins. En juillet et août, il couvre même 80 à 90% des besoins. Un audit réalisé en janvier 1997 par ExpertGaz Industrie sur la chaudière mixte a permis d'améliorer le réglage du brûleur et d'augmenter ainsi à la fois le débit de biogaz et le rendement. L'investissement, ici, a été assez réduit puisque les chaudières existaient déjà. Il s'est résumé à l'installation du brûleur mixte et au renforcement de l'épuration du biogaz à la station.

*Alimentation d'un four métallurgique
A Blaringhem (59), la société Baudelet gère depuis 1982 une importante décharge qui reçoit des ordures ménagères, des déchets industriels et des résidus de broyage automobile. Plutôt que de brûler le biogaz en torchère, Baudelet a installé un four pour fondre en lingots l'aluminium récupéré sur le site. Ce four est alimenté par le biogaz qui est au préalable analysé et linéarisé avec de l'air propané afin de stabiliser le PCI. Il produit en moyenne 300 tonnes de lingots d'aluminium chaque mois. Par rapport à l'utilisation du propane seul, la valorisation du biogaz apporte un gain énergétique de 77% qui se traduit par une économie annuelle de 331 kF. Le surinvestissement correspondant (2,15 MF pour l'amélioration du captage, le transport, le dopage, le comptage du biogaz, pour le traitement des fumées à la chaux et pour les études préalables) ayant bénéficié d'une subvention de 645 kF de l'ADEME et du Conseil régional, le temps de retour est de 4,5 ans.

* Déshydratation de fourrage
A Soignolles-en-Brie (77), la société AMSA, qui gère la décharge de Mont Saint-Sébastien, a trouvé deux débouchés complémentaires pour le biogaz produit à raison de 17 Mm3/an avec un PCI moyen de 5 kWh/(n)m3. En 1983, au moment de la mise en place du réseau de captage, le biogaz était brûlé en torchère. Le propriétaire du site, un agriculteur voisin, Bruno Dewulf, exploitait deux fours de déshydratation de pulpe de betterave et de luzerne (société GDS), l'un alimenté au fuel lourd, l'autre au charbon. Dès 1983, il reconvertit son four à fuel au biogaz, ce qui nécessite d'installer 150 m de tuyauterie, un nouveau brûleur, quelques vannes et dispositifs de sécurité, un compteur et un analyseur de biogaz (contrôle du PCI). En 1991, il complète cette installation pour brûler aussi du biogaz en complément du charbon dans le deuxième four. L'investissement total est estimé à 500 kF et les coûts de maintenance à moins de 50 kF/an. Compte tenu des 1250 tep économisées chaque année, l'investissement a été remboursé en moins d'un an.

La déshydratation étant une activité saisonnière d'été, Bruno Dewulf crée la société Fumasol qui, en 1989, installe progressivement quatre groupes électrogènes MVM totalisant 1800 kWe, destinés à produire de l'électricité et à la vendre à EDF de novembre à mars. Au cours des premières années de fonctionnement, les moteurs supportent difficilement le biogaz et ce n'est qu'en 1994 que la solution est trouvée : désormais, le biogaz est lavé puis séché (dans des échangeurs alimentés par l'eau de refroidissement des groupes) avant d'être injecté dans les moteurs. Pour cette seconde opération, l'investissement est beaucoup plus conséquent (de l'ordre de 10 MF) et les frais d'exploitation plus élevés (610 kF/an). Mais les recettes de la vente d'électricité (6 750 MWh/an) doivent rentabiliser l'ensemble en 4 ou 5 ans (le TRB aura été en fait de 10 ans au total). Pour l'instant, seule la production de biogaz durant le mois d'avril n'a pas trouvé de valorisation.

A Changé (53), sur son propre parc d'activité déchets, classé ISO 1 400 1, le groupe Séché a mené une réflexion sur les valorisations possibles du biogaz au fur et à mesure que le débit produit augmentait, pour atteindre aujourd'hui 2 000 à 2 500 m3/h. Le parc étant situé en pleine campagne, Séché s'est mis en rapport avec les agriculteurs voisins pour leur proposer de construire un déshydrateur de fourrage alimenté au biogaz et les a emmenés en Suisse visiter quelques installations. L'idée a pris racine : regroupés au sein de la coopérative CODEMA, 170 agriculteurs ont fait étudier puis lancé le projet et l'unité a été inaugurée en avril dernier. Avec l'aide de l'Europe, du Conseil régional et du Conseil général, ils ont investi quelque 12 MF dans l'opération.

Le déshydrateur fonctionne de mars à novembre. Il est alimenté en biogaz à 45% de méthane par une conduite souterraine d'environ un kilomètre de long, ainsi que par du GPL qui sert au démarrage et en appoint (suivant l'humidité initiale du produit, le même kilo de "bouchon" final peut réclamer d'évaporer 2 à 6 litres d'eau). Il consomme environ 2 000 m3/h de biogaz et le bouchon est produit à un prix de revient très intéressant de 0,50 F/kg. Deux originalités sont à signaler. La première est que le brûleur est réglé pour former une flamme à 1200-1300°C, ce qui évite la formation de particules, mais l'air de déshydratation est ensuite refroidi à 500°C, ce qui assure une meilleure qualité nutritionnelle au fourrage, alors que les équipements traditionnels produisent et utilisent l'air à 1 000°C. Seconde originalité : la traçabilité. Le fourrage est séché lot par lot et chaque agriculteur récupère ses propres lots, ce qui a permis à trois ou quatre "agriculteurs bio" d'adhérer à la coopérative. Il convient également de préciser que les comptes de la coopérative, dès la première année, sont équilibrés.

Sur son site, le groupe Séché a installé ses propres équipements de valorisation. D'abord un générateur de vapeur qui fonctionne toute l'année pour le traitement des déchets hospitaliers en consommant 200 à 300 m3/h de biogaz. Puis un moteur à biogaz qui tourne de novembre à mars pour produire de l'électricité vendue à EDF (400 kW), en relais du déshydrateur. Le surplus de biogaz continue d'être brûlé en torchère.

*Evaporer les saumures de lixiviats
A Hersin-Coupigny (62), France Déchets n'a pas trouvé preneur pour le biogaz produit par sa décharge qui reçoit 1500 t/j de déchets mélangés (déchets ménagers, commerciaux et industriels, gravats et déblais). Les deux premières alvéoles, contenant 5 millions de m3, sont closes et produisent environ 3200 m3/h de biogaz. Installées par FD Conseil et Energie développement, deux chaudières consommant 70 M3/h de biogaz assurent le chauffage des bâtiments administratifs et techniques. Elles sont plus chères que des modèles courants, reconnaît France Déchets, qui se pose aussi la question de leur longévité au regard des risques de corrosion. Mais surtout, les besoins satisfaits étant faibles, elles consomment très peu. Il fallait trouver autre chose.

Or, les décharges produisent aussi des lixiviats, jus très pollués recueillis par un second réseau de captage et qu'il faut absolument épurer. La solution choisie, une des plus moderne en Europe, comporte trois phases successives : un traitement aérobie en bassin, où les bactéries détruisent certaines substances organiques, puis une ultrafiltration qui retient les matières en suspension et la matière organique restante, enfin une osmose inverse à haute pression (30 à 50 bar) qui élimine les sels minéraux et les dernières particules fines. L'eau rejetée dans la Loisne est tellement pure qu'elle améliore la qualité de la rivière. Quant au rétentat, les "saumures" qui ont concentré les Polluants, ils sont évaporés (et désodorisés) par le procédé "isoflash" breveté par Rhône-Poulenc dans un évaporateur construit par la société Valt, qui consomme 600 m3/h de biogaz. Les résidus solides sont des poussières (2% des saumures) et sont stockés en centre de classe 1 ; les effluents liquides partent en cimenterie pour y être incinérés ; les gaz satisfont aux normes de rejet à l'atmosphère (contrôle par les Apave).

Il reste 2500 m3/h qui sont encore brûlés en torchère. France Déchets étudie deux solutions de valorisation. La première serait d'installer une turbine à gaz pour produire de l'électricité : le site en consommerait une partie, notamment pour le traitement des lixiviats, et l'excédent serait vendu à EDF. La seconde consisterait à utiliser directement le biogaz comme combustible pour le traitement thermique des terres polluées qui, pour l'instant, est alimenté au propane. La décision ne devrait pas tarder.


Produire de l'électricité

* Conditions opératoires
La production d'électricité seule ou en cogénération peut s'effectuer avec une chaudière au biogaz, suivie d'une turbine à vapeur. Cette voie très classique pose peu de problèmes techniques et les contraintes d'épuration du biogaz sont celles que réclament les chaudières. L'autre voie, explorée depuis quelques années, consiste à installer des moteurs à gaz, soit à étincelles, soit dual-fuel. Ces derniers sont plus lents, plus souples, plus durables, mais ils sont aussi environ deux fois plus chers. Les moteurs exigent un biogaz contenant au moins 40% de méthane.
Les premières expériences ont connu quelques déboires, c'est vrai (voir le cas de Soignolles-en-Brie ci- dessus), ce qui conduit encore aujourd'hui certains exploitants à préférer la voie traditionnelle, plus éprouvée et qui évite de traiter le biogaz. C'est le choix qu'a fait par exemple REP Energie pour ses décharges de Plessis Gassot et de Claye-Souilly (voir Energie Plus n°204 du 15 avril 1998). Cependant, l'expérience aidant, d'un côté les motoristes ont su adapter leurs engins au nouveau carburant, de l'autre on connaît désormais les spécifications à respecter pour éviter les problèmes, essentiellement liés à la corrosion. Les principales concernent le H2S (teneur inférieure à 100 mg/(n)m3) et l'eau (point de rosée inférieur à 5°C). La teneur en oxygène doit également être inférieure à 4% et les poussières d'une taille inférieure à 5 microns. Enfin, des valeurs limites de 50 mg de chlore, 25 mg de fluor et 30 mg d'ammoniac (par m3 normal) sont à respecter. Les deux premières spécifications impliquent généralement un traitement préalable du biogaz ; les autres peuvent être atteintes en contrôlant les conditions de production ou de captage.

* Conditions économiques
On considère que la production d'électricité n'est rentabilisable qu'au-delà d'un débit consommé de 400m3/h. Les économies d'échelle font que la rentabilité s'améliore avec la puissance installée. Le coût d'investissement tombe ainsi de 10 à 6,6 kF/kWe installé lorsque la puissance passe de 150 à 1000 kWe. Si l'on compare deux moteurs, l'un de 500 kWe, l'autre de 1 000 kWe, tournant tous deux 4760 heures par an et consommant respectivement 350 et 700 m3/h de biogaz, on aboutit à des temps de retour sur investissement respectifs de 6 ans et 4,5 ans, en tenant compte des frais exploitation. Ces évaluations, tirées de la brochure publiée par l'ADEME et GDF, sont à considérer pour l'avenir avec précautions puisque la plus grande incertitude règne actuellement sur la nature des contrats d'achat et la rémunération que pourra proposer EDF (ou un autre acheteur, d'ailleurs) d'ici quelques mois.

* Exemples de réalisations
Nous avons déjà donné plusieurs exemples de cogénération ou de production d'électricité à partir de biogaz de diverses origines (station d'épuration de Cholet, usine de Révico, décharges de Plessis- Gassot, de Claye-Souilly et de Soignolles-enBrie) et nous n'y reviendrons pas ici. Trois exemples supplémentaires cependant :

- L'entreprise Cégélec a installé deux modules de cogénération au biogaz, l'une à la station d'épuration de Port Douvot (Besançon) en 1994, l'autre à la décharge de Corcelles-Ferrières (Saint-Vit, Doubs) en 1997. A Port Douvot, les boues séjournent pendant 25 jours dans le digesteur à 37°C et produisent environ 3500 m3 par jour de biogaz à 65% de méthane. Ce dernier alimente un moteur de 450 kWe qui produit environ 6 500 kWh par jour. L'électricité est en partie auto-consommée par la station d'épuration qui couvre ainsi 40% de ses besoins, le solde étant vendu à EDF. La chaleur récupérée sur le moteur sert à maintenir le digesteur en température (9 000 kWh thermiques par jour environ) et à chauffer des locaux techniques pendant l'hiver. A la décharge de Corcelles-Ferrières, le moteur installé a une puissance de 601 kWe. L'exploitant du site, la société Nicollin, consomme toute l'électricité produite sur place et utilise la chaleur récupérée pour chauffer ses locaux.
Dans les deux opérations, les moteurs sont des Jenbacher type 312 qui peuvent brûler le biogaz brut avec un débit variable de 140 à 250 m3/h et avec une teneur en méthane variable de 30 à 60%. Dans le cas d'un faible pourcentage en méthane, la puissance électrique du moteur varie avec la teneur du biogaz en hydrogène, dont la présence peut compenser le manque de méthane.

- Aux portes de Paris, la gigantesque station d'épuration d'Achères, exploitée par le Siaap, traite plus de 2 millions de m3 d'eau "grise" par jour. Les boues activées à l'air libre sont ensuite méthanisées en digesteurs qui produisent 150 000 m3 par jour de biogaz à 65% de méthane, soit l'équivalent de 211 millions de kWh. Ici, les valorisations sont multiples. La station comporte sept moteurs Diesel de 1200 kW, dont quatre sont reliés à une turbine à air qui assure l'oxygénation de certains bassins d'aération. Les trois autres produisent de l'électricité et cette production est renforcée par une turbine à gaz de 4 MW alimentée elle aussi au biogaz. L'électricité fournie est consommée sur le site pour l'entraînement des machines tournantes et des équipements. Les gaz d'échappement de la turbine sont récupérés pour maintenir les digesteurs à bonne température. Trois chaudières au biogaz sont prévues en secours pour cette même fonction. Enfin, quatre chaudières à biogaz, consommant 4000 m3/h, alimentent en chaleur le poste où les résidus de boues méthanisées sont déshydratés. Globalement, le biogaz assure 60% des besoins énergétiques de la station, en tenant même compte du carburant pour les véhicules.

- A Montréal (Québec), la société MEG International, filiale de Gaz de France et d'Hydroquébec, exploite depuis 1996 une centrale de production d'électricité de 25 MW alimentée par le biogaz capté sur la décharge de la ville. Pour éviter la phase d'épuration, le maître d'ouvrage a opté pour la voie classique : chaudière à haute pression et turbine à vapeur. La production électrique (190 GWh/an) est entièrement vendue au réseau, mais l'opération n'est rentable, vu les prix de l'électricité au Québec, que parce que c'est la municipalité qui a investi les 50 millions de dollars qu'a coûté le réseau de captation du biogaz. Signalons une originalité de l'installation : la centrale étant près de Montréal, MEG International a mis en place une tour de refroidissement innovante à procédé hybride dit "secarrosé" pour diminuer le panache de vapeur.


Produire du carburant

* Conditions opératoires
Pour cette application, les spécifications de pureté du gaz sont beaucoup plus sévères que pour les précédentes, puisque le biogaz utilisable comme carburant doit contenir un minimum de 96% de méthane. Il faut en outre que le point de rosée soit inférieur à -20°C, ce qui correspond à une teneur en eau inférieure à 15 mg/(n)m3. D'autres exigences sont à respecter : teneur en H2S inférieure à 100 mg/(n)m3, en huile inférieure à 70- 200 ppm, en hydrocarbures liquides inférieure à 1 %, avec une taille de poussières limitée à 40 microns.
La séquence typique de préparation est la suivante : compression à 15- 20 bar désulfuration et décarbonatation par lavage à l'eau sous pression (perte de 8% du méthane environ) ; déshydratation par procédé PSA (Pressure System Adsorption) ; déshalogénation par passage sur charbon actif, généralement perdu (incinéré) ; enfin, compression à 250-350 bar.

* Conditions économiques
Dans l'analyse économique de cette application, la "recette" est constituée des économies réalisées en comparaison d'une consommation équivalente de gazole, sachant qu'un m3 de biogaz rend les mêmes services énergétiques qu'un litre de gazole. Les économies d'échelle sont ici aussi très importantes. Avec une chaîne de traitement d'une capacité de 50 m3/h, capable d'alimenter 8 bus ou 32 voitures, l'investissement s'élève à un peu plus de 3 MF et les frais d'exploitation à 370 kF/an, ce qui aboutit à un prix de revient du biogaz carburant de 2,11 F/m3, compétitif avec celui du gazole et permettant d'amortir l'investissement en 10 ans. A 15 m3/h, le prix de revient grimpe à plus de 5 F/m3 et l'opération ne peut pas être rentabilisée ; mais à 100 m3/h, le prix de revient s'établit à 1,50 le m3 et le temps de retour chute à 6 ans.

Ces calculs ne valent que dans l'état actuel de la fiscalité. Or, le biogaz est un carburant particulièrement propre dont la combustion émet beaucoup moins de polluants atmosphériques que celle du gazole ou de l'essence : pas de fumées noires ni de particules, imbrûlés sans danger, réduction des émissions de CO (-65%) et de NOx (-30%), quasi absence d'hydrocarbures aromatiques et d'aldéhydes, C02 qui ne participe pas à l'accroissement de l'effet de serre puisque issu de la biomasse. On peut donc espérer que la future "fiscalité écologique" an-noncée par le gouvernement sera de plus en plus favorable au biogaz, ce qui le rendra beaucoup plus attractif. Une des limites de cette valorisation restera néanmoins la distance à par-courir pour que les véhicules viennent s'approvisionner ; une autre le surcoût d'adaptation des véhicules : relativement faible pour les véhicules à essence, il est encore élevé pour les Diesel (on parle de 150 kF pour un bus, avec un objectif de 90 kF à moyen terme).

* Exemples de réalisations
- A la station d'épuration de Chambéry, 14% du biogaz produit par le digesteur de boues de 1100 m3 sont transformés en carburant. Les 50 000 m3/an alimentent 12-15 voitures municipales équipées en bi-carburation essence/biogaz. La pe-tite taille de cette opération pilote fi-nancée par Sinerg n'atteint pas en-core le seuil de rentabilité, mais il est prévu d'augmenter à l'avenir sa ca-pacité.

- A Lille, le projet pilote européen lancé par la Communauté urbaine (CUDL) avec la DG 17 visait à expé-rimenter un bus fonctionnant au bio-gaz produit à la station d'épuration de Marquette, en banlieue lilloise. Le procédé de préparation permet d'obtenir un biogaz à 98% de mé-thane, soit un taux supérieur à celui du GNV classique (gaz naturel véhi-cules). L'expérience a été menée avec un bus Agora de Renault Véhi-cules Industriels et a démontré la via-bilité économique et technique du projet. Le rapport des essais a été re-mis l'an dernier à la Commission européenne et l'opération pilote va dé-sormais se transformer en exploita-tion industrielle.

Après appel d'offres, ce sont encore les bus Agora de RVI qui ont été choi-sis et il est prévu de mettre en service plusieurs dizaines de ces bus d'ici 2002. La CUDL ne veut pas d'un pro-jet clé en main et souhaite tout maîtri-ser avant l'exploitation. Elle veut "un bus parfait avec une sécurité garan-tie". Jusqu'à fin 1998, le travail de fiabilisation et de réduction de consommation des bus se poursuit. "Le biogaz a un pouvoir calorifique important, souligne M- Duruy de la CUDL ; il faudrait diminuer la puis-sance de 250 à 200 CV, sinon les chauffeurs se croient dans des Ferrari et la consommation des bus augmen-te". En travaillant de pair avec l'ex-ploitant (Transpole) et RVI, la CUDL devrait parvenir à un projet écono-miquement intéressant. "La première vocation de ce projet n'était pas éco-logique, mais économique, rappelle M. Deruy ; il faudrait encore baisser la consommation de 11 à 12% pour qu'il soit vraiment rentable". La CUDL prépare également un cahier des charges pour la transformation du dépôt Faidherbe (bus Diesel) afin de l'adopter aux bus à biogaz en modifiant le réseau électrique et les systèmes de compression.

- A Sonzay, près de Tours, c'est du biogaz produit par la décharge de déchets municipaux qui est transfor-mé en carburant. Plusieurs alvéoles ont été spécialement aménagées pour garantir sa qualité, notamment une teneur en air inférieure à 0,5%. La ligne de préparation traite 10% du biogaz émis (avec un PCI de 5 kWh/m3) et produit environ 50 m3/h de biogaz carburant, suffi-samment pour alimenter une trentai-ne de voitures des services tech-niques de la ville de Tours. Le temps de retour brut de l'opération est esti-mé à 10 ans environ.


Injecter le biogaz dans le réseau

* Conditions opératoires
La composition finale du biogaz in-jectable ainsi que sa pression dépen-dent évidemment des spécifications imposées par le gestionnaire du ré-seau. Ces dernières portent principa-lement sur les teneurs en méthane, en gaz carbonique, en hydrogène sulfu-ré et en oxygène, avec des con-traintes supplémentaires sur la teneur en composés organohalogénés. Le gaz injecté doit en outre être odorisé avant l'injection.

* Conditions économiques
Comme la transformation en carbu-rant, l'injection dans le réseau pré-sente l'avantage d'être une valorisa-tion totale, qui n'est affectée par au-cun rendement de combustion. La chaîne de préparation et les canali-sations de raccordement représen-tent néanmoins un investissement très lourd et il est admis que l'opération ne peut trouver de rentabilité qu'à partir d'un débit de biogaz brut d'en-viron 1 000 m3/h.

* Exemples de réalisations
A l'étranger, l'injection dans le réseau est courante dans certains pays comme le Danemark, les Pays-Bas et la Nouvelle-Zélande. On cite souvent l'exemple de la décharge de Tilburg, aux Pays Bas, qui injecte "sans problème" 1000 m3/h de biogaz dans le réseau de gaz de la ville. Les experts de GDF ont visité certaines de ces installations et en ont ramené, semble-t-il, un constat assez mitigé. Nous attendrons donc de disposer, peut-être un jour, de leur rapport sur les expériences étrangères pour les décrire plus précisément.
En France, la seule opération de ce type a été tentée à la décharge de MONTECH, située à une dizaine de kilomètres de Montauban. Au moment où nous écrivons aucune molécule de biogaz n'a encore été injectée dans le réseau, mais l'installation est prête, les analyses, constatées par huissier, sont conformes aux spécifications, la demande officielle d'injection a été notifiée à GSO et le maître d'ouvrage, SINERG, n'attend plus que le feu vert conjoint de GSO et GDF. (voir l'article d'ENERGIE PLUS MONTECH, LA DECHARGE BRANCHEE.)